Géraldine Schönenberg, avril 2013, Critique libre

Géraldine Schönenberg, avril 2013, Critique libre

Critique « Le Temps des sirènes »

Naufrage de sirènes

Deux femmes entrent en scène en fanfare. Belles et délurées, elles semblent être les reines du monde. Des reines de pacotille d’un âge indéterminé qui posent leurs valises en pleine nuit dans une chambre d’hôtel de Nantes, leur dernière escale avant la Suisse. Terminus Genève, paradis pour artistes, ville d’un nouveau départ programmé où elles ont obtenu un contrat depuis l’Amérique. Chignon crêpé, aplats irisés sur les paupières, short lamé et artifices en tout genre, leur allure est anachronique. Gaies et complices, Victoria et Gloria forment un duo chantant et dansant, les « Sirènes des Caraïbes » et vont se produire au « Monseigneur ». Dans la pénombre, proche de la scène, un orchestre enchaîne des thèmes jazzy langoureux, fond sonore sensuel à leurs bavardages, entre excitation et consternation. Car les deux sœurs ne voient pas du même œil le sinistre endroit où elles ont atterri après ce périple qui les a menées d’outre-Atlantique en Europe et qui plante le décor de leur nouvelle vie : une pièce minable où tout est bancal et dont le lit en fer forgé paraît tanguer comme un radeau après un naufrage. Mais pour elles, le naufrage ne fait que se deviner : encombrées de paillettes dans leurs bagages autant que dans leurs rêves, aveuglées par leur désir de gloire, elles ne paraissent pas encore réaliser que leur mystérieux impresario ne les a pas fait venir de si loin uniquement pour leurs dons scéniques.

La mise en scène du metteur en scène cubain Carlos Diaz, est enlevée, et l’abattage des deux comédiennes (dont la créatrice de la pièce Silvia Barreiros) communicatif. Espoir, enthousiasme mais aussi amertume et découragement, les comédiennes malaxent avec brio tout un registre d’émotions ambivalentes. Et la remise en question d’une soi-disant carrière qui se profile, en forme de dernière chance, va tourner au déballage familial exalté, entre secrets et vieilles rancoeurs, enrobé d’exubérance latine et animé de coups de théâtre. C’est un peu Feydeau qui s’encanaille chez les clandestins. Aucun pathos pour suggérer l’exploitation des femmes, les désillusions, les promesses perverties d’un eldorado si facilement accessible. Aucun misérabilisme non plus pour dénoncer des pratiques de proxénètes qui misent sur la naïveté de leurs proies. Mais beaucoup d’humour et d’humanité dans un spectacle sans temps mort bercé de rythmes latinos et de rengaines populaires qu’étoffe la voix chaude d’Ondina Duany. Ce parti pris de légèreté pour masquer la noirceur d’une réalité pourra déconcerter. Mais si le spectateur en sort diverti, des paillettes dans le cœur, le message passe pourtant et résonne encore après la fin de la représentation tout comme les refrains de Dalida ou de Cloclo sur lesquels les spectateurs sont incités à danser avant de quitter ce huis-clos bariolé de sentiments.

Géraldine Schönenberg, Critique libre

Géraldine Schönenberg, avril 2013, Critique libre Géraldine Schönenberg, avril 2013, Critique libre 2017-01-02 00:00:00 https://www.apsaras.ch/images/article/dev-web/sirenes_categorie.jpg